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Déroulement de l’atelier
L’atelier pratique s’est concentré autour de l’étude d’un scénario pédagogique hybride (blended learning), cours universitaire de l’Université de Genève, représentatif des usages actuels du numérique pour l’éducation. L’objectif visé était de permettre une visualisation concrète des outils, méthodes et usages du numérique pour en tirer des pistes des réflexions et d’action, ainsi que des perspectives d’axes de recherche.
Les groupes de travail se sont concentrés en premier lieu sur trois aspects : (1) la production et conception des outils, ainsi que leurs usages, (2) les infrastructures que nécessitent la diffusion des contenus numériques, et (3) quels indicateurs seraient nécessaires pour mesurer l’impact réel des choix pédagogiques.
Propositions, réflexions et perspectives
L’atelier pratique sur la sobriété numérique dans les environnements informatisés pour l’apprentissage humain a conduit à une série de propositions visant à optimiser l’usage des technologies dans le cadre de scénarios pédagogiques hybrides. Les trois groupes ont développé des approches complémentaires pour créer une proposition globale qui vise à intégrer la sobriété numérique dans la conception et la mise en œuvre des environnements d’apprentissage.
D’abord, pour créer des environnements d’apprentissage humain (EIAH), les objectifs de formation et les objectifs de sobriété doivent être considérés simultanément. Il est essentiel de déterminer si l’usage du numérique est indispensable et comment l’impact écologique peut être mesuré. Pour chaque tâche, le meilleur outil doit être sélectionné en tenant compte de sa praticité et de sa performance. Une attention particulière doit être portée au nettoyage des données et à l’élaboration d’un guide des bonnes pratiques à suivre ou à éviter.
La nécessité de la formation et son mode de livraison doivent être soigneusement évalués. Les besoins associés au cours doivent être clairement définis avant de choisir les outils, en tenant compte des fonctionnalités, des critères environnementaux et sociaux. Le choix entre un hébergement local et un hébergement extérieur, ainsi qu’entre des grosses applications et des petits services optimisés, doit être soigneusement pesé.
Des indicateurs pertinents et précis doivent être définis pour évaluer la sobriété numérique. Cela comprend le coût de l’heure de connexion en visioconférence, qui comprend la bande-passante, l’amortissement des serveurs, l’électricité, le coût du déplacement de personnes, le logement, les frais de transport, l’organisation du temps, le coût de l’équipement, et le coût cognitif pour les enseignant·es et les apprenant·es.
Enfin, la conception doit se faire avec la sobriété à l’esprit, en évitant la redondance et en prenant en compte les limites techniques de l’administration. Un concept clé est l’Analyse du Cycle de Vie (ACV) à plusieurs échelles, qui peut aider à évaluer l’impact écologique d’un outil numérique.
Dans l’ensemble, la proposition globale vise à intégrer la sobriété numérique dès la conception des environnements d’apprentissage, à choisir soigneusement les outils et les modalités d’hébergement, à mesurer l’impact de ces décisions à l’aide d’indicateurs précis, et à utiliser des techniques telles que l’ACV pour évaluer et minimiser l’impact écologique tout au long de la vie de l’outil ou du service.
Axes de travail pour le futur groupe de travail
Les quatre axes qui suivent émanent des discussions de l’atelier, sans pour autant constituer l’ensemble des axes envisageables pour un futur groupe de travail.
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Concevoir un guide sur les bonnes pratiques en matière d’utilisation du numérique dans la formation.
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Trouver ou créer des indicateurs, permettant de choisir une solution numérique de manière éclairée. Ce deuxième axe vient alimenter le premier.
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Analyser la littérature en EIAH pour en extraire les présupposés en matière d’utilité du numérique (idée reçue : “le numérique, c’est vertueux”), et l’absence probable de réflexion sur les coûts de ce même numérique.
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“Concevoir par la sobriété “ : établir une méthode de conception d’EIAH qui tout en reprenant les méthodes connues (Design Thinking, ADDIE, etc.) prenne la question de la sobriété comme point de départ.
Annexe : transcription des photos des tableaux blancs
Groupe 1
Proposition de méthodes de conception de EIAH ou formation, les questions à se poser :
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Quel est l’objectif (politique) de sobriété (d’après les rapports scientifiques)
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Quels sont objectifs de formation ? Le numérique est-il indispensable ?
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Quel est l’impact écologique ? Est-il mesurable (et comment) ?
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Quelles activités sont à effectuer ?
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Quels outils sont nécessaires ?
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Pour chaque tâche, quel est le meilleur outil en rapport praticité / performance
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Différence de consommation entre la plus écolo et la moins > plus-value réelle ?
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Y a-t-il une plus-value suffisante et avérée de l’outil, surtout s’il est numérique ?
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Dès la conception, penser les bonnes pratiques :
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Nettoyer les données
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Proposer un vademecum (que faire / à éviter)
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Peut-on penser objectifs de formation et impact écologique en même temps ? :
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Apport du numérique vs enseignement conventionnel (expérimentations) :
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Méta-analyse en Sciences de l’éducation, leviers d’amélioration à taille d’effet comparable à la plus-value du numérique
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Mesurer le coût écologique d’un outil numérique
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Maximiser les bénéfices du numérique par rapport au seul fixé par les politiques de sobriété
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PUIS voir comment réduire les coûts de ce qui a été établi comme important
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Les indicateurs proposés :
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Au niveau politique, proposer une entrée numérique (EAD) et instaurer des contrôles internes
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Comparaison présence vs numérique :
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Coût d’une heure de connexion en visioconférence comprend la bande-passante, l’amortissement des serveurs, l’électricité
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Coût du déplacement de x personnes : logement, frais de transport, organisation du temps
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Coût de l’équipement : durée de vie des appareils limitée dans le temps
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Coût en termes cognitifs : charge cognitive plus élevée pour les enseignant·es, les apprenant·es, notamment avec la multiplicité des outils à maîtriser.
Groupe 2
Les questions à se poser : en premier lieu, se demander si on a vraiment besoin de faire cette formation. Et si oui, besoin de la faire à distance ?
- Dimension production / conception
Commencer par définir les besoins associés au cours, puis choisir les outils adaptés : fonctionnalités, critères environnementaux et sociaux. Éviter de tomber dans le piège des outils tendance ou de préférence de l’utilisateur·ice. Il est difficile de numériser un cours.
- Dimension diffusion / réception
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Augmentation des services = augmentation des serveurs à produire
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Favoriser un hébergement local ? Vs un hébergement extérieur difficile à contrôler ?
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Grosses applications vs petits services optimisés ?
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Fermeture des services non utilisés
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Nettoyage de l’espace occupé
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Modifier les politiques de l’établissement sur la question
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Indicateurs
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Parlants et précis
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Fournir un classement des alternatives possibles si on décide de ne pas s’en passer
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Groupe 3
Les points clés à questionner :
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Cool vs réponse au besoin
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Préconisation / fonction
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Concevoir par la sobriété
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Limites d’administration technique : taille, horaire…
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Mesures percutantes et pertinentes
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Ciblage de l’effort
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Redondance à éviter
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ACV multi-échelle cours/activité
Compte-rendu de l’atelier du matin
Atelier « sobriété » – première partie
Dominique Py, LIUM, Université du Mans : « Impacts environnementaux du numérique »
Souvent présenté comme indispensable à la transition écologique, le numérique génère pourtant de nombreux inconvénients ignorés et ses impacts environnementaux sont une préoccupation croissante. Malgré les appels à développer un « numérique éco-responsable », ces impacts risquent encore d’augmenter dans les prochaines années. Les initiatives telles que Green IT, qui visaient à rendre l’informatique durable et à améliorer l’efficacité des équipements et des algorithmes depuis les années 1990, n’ont pas eu les résultats escomptés. En effet, l’empreinte environnementale du numérique continue d’augmenter au niveau national et mondial.
Le développement massif du numérique, loin d’être un outil pour atteindre les objectifs climatiques, pourrait aggraver la situation. Pour preuve, le concept de dématérialisation est fortement remis en question face à l’explosion des objets connectés qui représentent cinq fois le parc automobile français. Il devient donc essentiel de prendre en compte le cycle de vie complet des produits numériques. En effet, l’empreinte matérielle de ces produits, majoritairement constituée de plastique et de métaux, est dominée à 80% par la phase de production.
Le problème réside dans le fait que la plupart des initiatives se concentrent sur l’offre, en améliorant les avancées technologiques et l’efficacité énergétique, plutôt que sur la demande, qui continue d’augmenter. Deux facteurs principaux contribuent à cette augmentation : l’effet rebond, qui entraîne une hausse des usages à mesure que la technologie devient plus efficace, et la croissance continue du secteur, qui annule les gains d’efficacité obtenus.
Ainsi, la sobriété numérique est mise en avant comme une nécessité, allant au-delà de l’efficacité. Toutefois, il est difficile d’instaurer une prise de conscience personnelle et collective sur les usages du numérique dans un contexte où tout le monde est entouré de technologie et incité à y recourir. Un changement de trajectoire collective nécessite des décisions politiques et la mise en place de réglementations plutôt que des efforts individuels. Quant aux efforts individuels, ils devraient vise en priorité à acheter les équipements les moins puissants possibles, les faire durer le plus longtemps possible, et réduire, voire supprimer, les usages les plus énergivores (vidéo, 5G…).
Les propositions
Utilité
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Interroger l’apport de l’outil : pour un savoir donné, quel serait l’intérêt du numérique par rapport à l’apprentissage traditionnel?
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Évaluer si l’outil apporte un réel avantage, en termes d’apprentissage, sur les méthodes classiques (et tenir compte des résultats !)
Sobriété
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Viser la simplicité de conception et d’usage plutôt que la sophistication
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Rechercher l’économie en mémoire et en ressources (accès internet, vidéos)
Durabilité
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Robustesse : tolérance aux pannes, au faible débit
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Adaptabilité : logiciels portables, modifiables et paramétrables
Nicolas Szilas, TECFA-FPSE, Université de Genève : « Les défis de la sobriété numérique en contexte universitaire »
La question de l’écologie numérique est généralement négligée dans le contexte universitaire, en particulier dans les domaines de recherche et d’enseignement. Toutefois, au sein de notre université, une prise de conscience a commencé à émerger après avoir interpellé la direction sur cette question. Un groupe de travail a été formé et quelques premières mesures ont été prises, mais le parcours vers une diminution significative de l’empreinte environnementale de l’institution liée au numérique est encore long. Il est encore plus long d’atteindre les objectifs de neutralité carbone définis politiquement.
Plusieurs obstacles majeurs entravent une transition rapide vers la sobriété numérique:
1. Non-motivation : Les impacts environnementaux du numérique sont souvent mal compris, ce qui peut engendrer un phénomène de paresse sociale. Il y a un écart important entre la prise de conscience environnementale et les actions environnementales. Pour changer les comportements, il serait intéressant de s’inspirer des recherches en psychologie sur le changement de comportement.
2. Conception du progrès : La sobriété va à l’encontre de l’idée de croissance. Le discours actuel est souvent tourné vers les « technologies du futur », censées être moins énergivores, telles que le Green IT.
3. Paradoxe du « Green Digital » : Le concept du numérique écologiquement responsable est souvent entaché de paradoxes, où les bénéfices environnementaux attendus sont annulés par une utilisation accrue.
4. Valeur de prestige : L’utilisation de nouvelles technologies et de matériel de pointe a souvent une valeur de prestige, ce qui peut entraver les efforts de sobriété numérique.
5. La fonction achat : Les processus de prêt, d’achat d’occasion, ou de réparation ne sont pas bien mis en place (voire inexistants), au profit de la seule fonction achat. Cela encourage la consommation de nouveaux produits au lieu de pérenniser l’existant.
6. Organisation en silos : Pour atteindre la sobriété numérique, il est nécessaire de créer une adhésion de tous les départements et de mutualiser les équipements. Cela est souvent rendu difficile par une organisation en silos.
Audrey Gélou, Costech, UTC : “Expériences d’enseignement du cours Low-technicisation et numérique”
La « low-technicisation » est un concept qui implique de renégocier le spectre fonctionnel et la complexité technique des outils numériques afin de créer des alternatives plus soutenables et conviviales. Cette démarche se pose comme une alternative au techno-solutionnisme et s’oppose aux postures qui négligent soit l’écologie, soit la technique. Proposée par des enseignant·es-chercheur·es de l’UTC, elle constitue une nouvelle approche à la conception et à l’utilisation des outils numériques.
La low-technicisation s’articule autour de deux voies principales dans le domaine numérique :
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La low-technicisation du numérique consiste à concevoir les applications informatiques elles-mêmes, de manière à produire des outils informatiques plus soutenables et conviviaux.
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La low-technicisation par le numérique vise à créer des applications informatiques qui favorisent et soutiennent la production d’objets ou de services (numériques ou non) plus soutenables et conviviaux.
Les concepts clés qui guident cette démarche sont la durabilité, la convivialité, et l’interdépendance entre la technique et l’humain. L’approche adoptée est structurée en cinq étapes principales : la veille, l’idéation, le maquettage, l’évaluation (y compris en termes de greenwashing) et la publication, cette dernière étape assurant une critique externe et ouvrant l’espace à de nouveaux projets.
En pratique, cette méthodologie a été mise en œuvre dans le cadre de l’initiative UPLOAD de l’association Framasoft, et a conduit à la réalisation de trois projets documentés sur le site Lownum.fr.
Des questions subsistent quant à l’application de cette méthodologie, notamment concernant l’importance de se poser la question de l’utilité de l’outil avant de partir dans une démarche de low-technicisation d’un outil ou d’un processus. Enfin, il est important de ne pas perdre de vue que la convivialité et la durabilité des outils LowNum, ainsi que la promotion de leur utilisation, ne doivent pas engendrer une multiplication excessive des outils ni capter inutilement l’attention des utilisateurs.
Discussion
La discussion qui a suivi les interventions a principalement tourné autour de la question de comment délimiter le champ d’investigation de la LowNum des EIAH. Il a été suggéré que des guides sur « les outils EIAH sobres » pourraient être créés, mêlant ainsi des approches théoriques et pratiques.
Les participants ont mis en garde contre la simplification du débat sur l’utilisation des écrans dans le milieu éducatif.
Il a également été mentionné que l’analyse des traces, qui nécessite un stockage important et consomme beaucoup d’énergie, pourrait ne pas être aussi bénéfique qu’on le pense, remettant en question l’intérêt réel des tableaux de bord de Learning Analytics. Cela a amené à un échange sur la confrontation des besoins des utilisateurs avec l’impératif en recherche académique de collecter et publier les données.
En outre, une question clé a été soulevée sur l’existence d’une méthodologie pour évaluer l’impact des réductions ou l’utilité des outils sélectionnés. L’exemple du travail collaboratif sur Google Doc a été cité, mettant en lumière la difficulté de modifier l’usage par défaut de tels outils. Les propositions de remplacement par des outils low-tech, comme FramaPad, se sont heurtées à des défis institutionnels et à la stratégie agressive des GAFAM dans la création de partenariats avec les universités.
La discussion a également abordé le risque que l’analyse des traces ait un effet contre-productif, poussant les utilisateurs à doubler leur utilisation des outils pour maintenir un espace non surveillé. Cela a conduit à un débat sur ce qui est possible par rapport à ce qui doit être fait, soulignant la nécessité de comprendre l’ampleur de la tâche à accomplir. Les participants ont suggéré la création d’une commission écologique similaire à la commission d’éthique, l’inclusion de la durabilité dans le protocole de recherche, et l’établissement d’un label.
Enfin, un travail doit être mené pour déterminer qui bénéficie des outils conçus et comment cibler au mieux les besoins. Le GreenCoLab (https://www.greencolab.com/) a été cité comme une ressource possible à cet égard.