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Compte-rendu de l’atelier du matin

Atelier « sobriété » – première partie

Dominique Py, LIUM, Université du Mans : « Impacts environnementaux du numérique »

Souvent présenté comme indispensable à la transition écologique, le numérique génère pourtant de nombreux inconvénients ignorés et ses impacts environnementaux sont une préoccupation croissante. Malgré les appels à développer un « numérique éco-responsable », ces impacts risquent encore d’augmenter dans les prochaines années. Les initiatives telles que Green IT, qui visaient à rendre l’informatique durable et à améliorer l’efficacité des équipements et des algorithmes depuis les années 1990, n’ont pas eu les résultats escomptés. En effet, l’empreinte environnementale du numérique continue d’augmenter au niveau national et mondial.

Le développement massif du numérique, loin d’être un outil pour atteindre les objectifs climatiques, pourrait aggraver la situation. Pour preuve, le concept de dématérialisation est fortement remis en question face à l’explosion des objets connectés qui représentent cinq fois le parc automobile français. Il devient donc essentiel de prendre en compte le cycle de vie complet des produits numériques. En effet, l’empreinte matérielle de ces produits, majoritairement constituée de plastique et de métaux, est dominée à 80% par la phase de production.

Le problème réside dans le fait que la plupart des initiatives se concentrent sur l’offre, en améliorant les avancées technologiques et l’efficacité énergétique, plutôt que sur la demande, qui continue d’augmenter. Deux facteurs principaux contribuent à cette augmentation : l’effet rebond, qui entraîne une hausse des usages à mesure que la technologie devient plus efficace, et la croissance continue du secteur, qui annule les gains d’efficacité obtenus.

Ainsi, la sobriété numérique est mise en avant comme une nécessité, allant au-delà de l’efficacité. Toutefois, il est difficile d’instaurer une prise de conscience personnelle et collective sur les usages du numérique dans un contexte où tout le monde est entouré de technologie et incité à y recourir. Un changement de trajectoire collective nécessite des décisions politiques et la mise en place de réglementations plutôt que des efforts individuels. Quant aux efforts individuels, ils devraient vise en priorité à acheter les équipements les moins puissants possibles, les faire durer le plus longtemps possible, et réduire, voire supprimer, les usages les plus énergivores (vidéo, 5G…).

Les propositions

Utilité

  • Interroger l’apport de l’outil : pour un savoir donné, quel serait l’intérêt du numérique par rapport à l’apprentissage traditionnel?

  • Évaluer si l’outil apporte un réel avantage, en termes d’apprentissage, sur les méthodes classiques (et tenir compte des résultats !)

Sobriété

  • Viser la simplicité de conception et d’usage plutôt que la sophistication

  • Rechercher l’économie en mémoire et en ressources (accès internet, vidéos)

Durabilité

  • Robustesse : tolérance aux pannes, au faible débit

  • Adaptabilité : logiciels portables, modifiables et paramétrables

Nicolas Szilas, TECFA-FPSE, Université de Genève : « Les défis de la sobriété numérique en contexte universitaire »

La question de l’écologie numérique est généralement négligée dans le contexte universitaire, en particulier dans les domaines de recherche et d’enseignement. Toutefois, au sein de notre université, une prise de conscience a commencé à émerger après avoir interpellé la direction sur cette question. Un groupe de travail a été formé et quelques premières mesures ont été prises, mais le parcours vers une diminution significative de l’empreinte environnementale de l’institution liée au numérique est encore long. Il est encore plus long d’atteindre les objectifs de neutralité carbone définis politiquement.

Plusieurs obstacles majeurs entravent une transition rapide vers la sobriété numérique:

1. Non-motivation : Les impacts environnementaux du numérique sont souvent mal compris, ce qui peut engendrer un phénomène de paresse sociale. Il y a un écart important entre la prise de conscience environnementale et les actions environnementales. Pour changer les comportements, il serait intéressant de s’inspirer des recherches en psychologie sur le changement de comportement.

2. Conception du progrès : La sobriété va à l’encontre de l’idée de croissance. Le discours actuel est souvent tourné vers les « technologies du futur », censées être moins énergivores, telles que le Green IT.

3. Paradoxe du « Green Digital » : Le concept du numérique écologiquement responsable est souvent entaché de paradoxes, où les bénéfices environnementaux attendus sont annulés par une utilisation accrue.

4. Valeur de prestige : L’utilisation de nouvelles technologies et de matériel de pointe a souvent une valeur de prestige, ce qui peut entraver les efforts de sobriété numérique.

5. La fonction achat : Les processus de prêt, d’achat d’occasion, ou de réparation ne sont pas bien mis en place (voire inexistants), au profit de la seule fonction achat. Cela encourage la consommation de nouveaux produits au lieu de pérenniser l’existant.

6. Organisation en silos : Pour atteindre la sobriété numérique, il est nécessaire de créer une adhésion de tous les départements et de mutualiser les équipements. Cela est souvent rendu difficile par une organisation en silos.

Audrey Gélou, Costech, UTC : “Expériences d’enseignement du cours Low-technicisation et numérique”

La « low-technicisation » est un concept qui implique de renégocier le spectre fonctionnel et la complexité technique des outils numériques afin de créer des alternatives plus soutenables et conviviales. Cette démarche se pose comme une alternative au techno-solutionnisme et s’oppose aux postures qui négligent soit l’écologie, soit la technique. Proposée par des enseignant·es-chercheur·es de l’UTC, elle constitue une nouvelle approche à la conception et à l’utilisation des outils numériques.

La low-technicisation s’articule autour de deux voies principales dans le domaine numérique :

  1. La low-technicisation du numérique consiste à concevoir les applications informatiques elles-mêmes, de manière à produire des outils informatiques plus soutenables et conviviaux.

  2. La low-technicisation par le numérique vise à créer des applications informatiques qui favorisent et soutiennent la production d’objets ou de services (numériques ou non) plus soutenables et conviviaux.

Les concepts clés qui guident cette démarche sont la durabilité, la convivialité, et l’interdépendance entre la technique et l’humain. L’approche adoptée est structurée en cinq étapes principales : la veille, l’idéation, le maquettage, l’évaluation (y compris en termes de greenwashing) et la publication, cette dernière étape assurant une critique externe et ouvrant l’espace à de nouveaux projets.

En pratique, cette méthodologie a été mise en œuvre dans le cadre de l’initiative UPLOAD de l’association Framasoft, et a conduit à la réalisation de trois projets documentés sur le site Lownum.fr.

Des questions subsistent quant à l’application de cette méthodologie, notamment concernant l’importance de se poser la question de l’utilité de l’outil avant de partir dans une démarche de low-technicisation d’un outil ou d’un processus. Enfin, il est important de ne pas perdre de vue que la convivialité et la durabilité des outils LowNum, ainsi que la promotion de leur utilisation, ne doivent pas engendrer une multiplication excessive des outils ni capter inutilement l’attention des utilisateurs.

Discussion

La discussion qui a suivi les interventions a principalement tourné autour de la question de comment délimiter le champ d’investigation de la LowNum des EIAH. Il a été suggéré que des guides sur « les outils EIAH sobres » pourraient être créés, mêlant ainsi des approches théoriques et pratiques.
Les participants ont mis en garde contre la simplification du débat sur l’utilisation des écrans dans le milieu éducatif.
Il a également été mentionné que l’analyse des traces, qui nécessite un stockage important et consomme beaucoup d’énergie, pourrait ne pas être aussi bénéfique qu’on le pense, remettant en question l’intérêt réel des tableaux de bord de Learning Analytics. Cela a amené à un échange sur la confrontation des besoins des utilisateurs avec l’impératif en recherche académique de collecter et publier les données.
En outre, une question clé a été soulevée sur l’existence d’une méthodologie pour évaluer l’impact des réductions ou l’utilité des outils sélectionnés. L’exemple du travail collaboratif sur Google Doc a été cité, mettant en lumière la difficulté de modifier l’usage par défaut de tels outils. Les propositions de remplacement par des outils low-tech, comme FramaPad, se sont heurtées à des défis institutionnels et à la stratégie agressive des GAFAM dans la création de partenariats avec les universités.
La discussion a également abordé le risque que l’analyse des traces ait un effet contre-productif, poussant les utilisateurs à doubler leur utilisation des outils pour maintenir un espace non surveillé. Cela a conduit à un débat sur ce qui est possible par rapport à ce qui doit être fait, soulignant la nécessité de comprendre l’ampleur de la tâche à accomplir. Les participants ont suggéré la création d’une commission écologique similaire à la commission d’éthique, l’inclusion de la durabilité dans le protocole de recherche, et l’établissement d’un label.
Enfin, un travail doit être mené pour déterminer qui bénéficie des outils conçus et comment cibler au mieux les besoins. Le GreenCoLab (https://www.greencolab.com/) a été cité comme une ressource possible à cet égard.